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la manière des seigneurs-bandits qui se soulevaient jadis contre le pouvoir royal, par orgueil, par humeur mutine et batailleuse. Au reste il n’a point de doctrine. A-t-il jamais dit expressément qu’il fût socialiste, communiste, collectiviste ou autre chose ? Dès lors tombent quelques-unes des accusations dont on pourrait le charger. Il s’adresse moins aux appétits des malheureux qu’à leurs instincts de révolte, et cela par goût naturel. Mais il ne les trompe pas, il ne leur promet rien. Il agite pour agiter. Il sait qu’il n’a rien à mettre à la place de ce qu’il veut renverser, et il s’en moque bien ! Il voit très clairement la niaiserie ou la méchanceté de quelques-uns de ses collaborateurs en révolution ; mais il jouit de son encanaillement, de son déclassement intellectuel et moral, qui du reste a fait presque toute sa renommée. Il a la joie de sentir qu’il domine, qu’il dirige, qu’il a dans sa main des milliers de misérables qui croient en lui et qui pourtant lui sont aussi étrangers que possible et qu’il n’aime pas. La profondeur de leur crédulité doit lui paraître d’un comique inépuisable et quelque peu effrayant. Il jouit de ce qui nous scandalise, du paradoxe de sa double vie. Il jouit de cette volontaire perversion de sentiments qui lui fait, comme on a dit, outrager ce qu’au fond il estime et exalter ce qu’il méprise. Ou bien peut-être jouit-il de mépriser ceux avec qui il combat tout en haïssant ceux qu’il attaque. Tout cela fait quelque chose d’un tant soit peu méphistophélique. — Mais, pour ne rien omettre, je me figure qu’il y a encore