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un cas moral qu’un cas littéraire ; que l’intransigeance croissante de son rôle public correspondît moins au développement d’une conviction qu’à celui d’un certain tour d’esprit, et que ce développement n’eût été déterminé que par des événements extérieurs. Notez que le genre de plaisanterie qui lui est naturel implique, même quand il est inoffensif, une attitude d’insurrection, et qu’il contient en puissance, si j’ose dire, tout un infini de révolte. Cet esprit a besoin d’être dans l’opposition extrême pour trouver tout son emploi, pour jeter tout son éclat, pour valoir tout son prix, pour sortir et se déployer tout entier. Or, ce point de l’extrême opposition s’étant toujours déplacé et reculé depuis vingt ans, M. Rochefort a suivi, simplement. Il est constamment allé là où il pouvait avoir tout son esprit. Ce n’est pas lui qui a changé, mais le terrain où il lui était permis d’être tout lui-même. Il n’est pas l’homme d’une foi, mais l’homme d’un tempérament et d’une situation toujours relative et mobile. Que dis-je ? il est l’homme de la Lanterne. Il est condamné à faire la Lanterne toute sa vie. Or la lanterne d’aujourd’hui ne peut plus être celle d’il y a dix-huit ans. C’est à présent le falot qui conduit dans la nuit les bandes de Germinal et où les émeutiers allument leurs torches. Qu’importe ? Le lanternier n’en peut mais : il faut qu’il fasse jusqu’au bout sa tâche de lanternier. Songez donc : si on allait lui prendre sa place ? S’il trouvait plus insurgé que lui ? Il serait perdu d’honneur, j’entends d’honneur littéraire. Sa lanterne le mène