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dans la société contemporaine, quelque chose de la fière allure de ces aventuriers d’autrefois qui, vivant dans des sociétés moins munies de police et de gendarmes, payaient de beaucoup de courage le droit de faire à leur guise et de n’être point jugés tout haut. Si M. Rochefort joue la comédie, il veut bien qu’on s’en aperçoive, mais il ne souffre point qu’on le dise. Ce révolutionnaire tintamarresque a des balafres sur la peau et, je pense, quelques balles dans le corps. Ce secret irritant de sa sincérité ou de sa feintise, il le garde derrière son épée de gentilhomme.

Puis, résoudre la difficulté en affirmant sa duplicité volontaire, ce serait un peu trop simple et grossier. Il est tant de sincérités mitigées et de mensonges à demi sincères ! Savons-nous nous-mêmes exactement ce que nous sommes ? Les circonstances et l’habitude nous pétrissent et nous façonnent plus qu’on ne peut l’imaginer. Nous croyons toujours un peu ce que nous aurions intérêt ou plaisir à croire. Nous sommes dupes de notre rôle, dupes de ce que nous faisons pour duper les autres. Le masque que nous avons choisi finit par coller à notre peau, devient notre vrai visage. Le mensonge comme la sincérité comporte une foule de nuances. Qui n’a senti cela ? Souvent, les impressions littéraires et autres qu’il m’est arrivé de traduire ici, je ne sais pas trop si je les ai écrites parce que je les éprouvais, ou si je les ai éprouvées parce que je les avais écrites…

Il se pourrait que le cas de M. Rochefort fût moins