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Et comment sont-elles faites, ces chroniques ? Ô grande misère du métier de journaliste ! Ces considérations sur l’événement parisien de la veille, que des milliers d’âmes simples lisent avec tant de candeur et de foi, un malheureux homme de lettres les a écrites tantôt avec un inexprimable dégoût, tantôt avec l’indifférence résignée qu’on apporte à une corvée journalière. Il s’est dit : « Il faut qu’aujourd’hui, comme hier, comme demain, je raconte des histoires et fournisse des idées — des idées ? — à cinquante mille abrutis qui me sont parfaitement indifférents. De quoi vais-je leur parler, mon Dieu ? Un sujet ! donnez-moi un sujet ! » Et sur n’importe quoi il écrit n’importe quoi. Il est enjoué, il est sérieux, il est sceptique, il est ému, il fait de l’esprit, il fait de la philosophie, parce que c’est son métier, à tant la ligne. Comme cela est bizarre, quand on y songe ! Entretenir le public de choses qui ne vous intéressent pas du tout et, là-dessus, faire semblant d’avoir des impressions pour les gens qui n’en ont pas, mais qui pourraient si bien se passer d’en avoir ! Est-il rien de plus artificiel et de plus vain ?

Tout cela est vrai. Et cependant, à mesure que j’exprime ces vérités, banales elles-mêmes comme une chronique, je n’en suis plus si sûr. Ce que je dis de la chronique peut se dire de tout le journal, et aussi de la littérature tout entière ; et la littérature est vaine si vous voulez ; mais dire que tout est vain, ce n’est rien dire. Des fragments de la réalité reflétés dans un