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sentimentales et plus passionnées ? Elles jouissent moins purement que nous des beaux arrangements de mots et de sons, et aussi des contours, des formes et des couleurs. Elles jouissent surtout des sentiments dans lesquels se transforment tout de suite leurs sensations et ne goûtent bien que le charme des mots qui traduisent ces sentiments. Elles sont trop émues au moment où elles écrivent. Or, pour arriver à la perfection du style poétique et plastique, il est peut-être nécessaire de n’être point ému en écrivant, de considérer uniquement la valeur musicale et picturale du langage et, en face des objets matériels, de s’arrêter à l’impression qu’on a tout d’abord reçue d’eux, à la sensation première et directe, ou d’y revenir artificiellement afin de n’exprimer qu’elle. Le sentiment moral et la passion pourront avoir leur tour ; mais il faut commencer par « objectiver », comme on dit, la sensation. Or les femmes n’ont presque jamais la maîtrise de soi, le sang-froid indispensable pour cette opération. Elles ne sont pas assez frappées de la « figure » des mots et de la figure des choses. Elles ne réagissent pas assez, après l’avoir subie, contre la pression de l’univers sensible. L’explication du mystère qui nous occupe serait peut-être dans ce passage de Milton où il est dit que l’homme « contemple » et que la femme « aime »… Et puis, au bout du compte, tout cela est trop général et n’explique rien. Ce n’est, comme la phrase de M. Jacquinet, que la constatation d’un fait, en termes plus obscurs.