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n’a pas eu de très grands malheurs, s’avise, dans son âge mûr, d’écrire des vers. Et ces vers, âpres et nus, sont parmi les plus beaux vers pessimistes qu’on ait écrits, et les plus éloquents peut-être et les plus virils qu’ait jamais inspirés le désespoir métaphysique. — Mais voilà qu’à ces éclats impies (admirable variété des âmes !) répond, du fond d’une église de village, un murmure de prière virginale. C’est une chose unique et précieuse, dans sa monotonie et quelquefois dans sa puérilité dévote, que ce Journal d’Eugénie de Guérin, ces impressions innocentes d’une jeune fille pauvre et noble, pieuse, résignée, vivant presque d’une vie de paysanne dans un hameau perdu. Et c’est le premier monument de vie intérieure que nous rencontrions sur notre chemin.

Enfin, voici les « penseuses », Mme de Staël et Daniel Stern. Elles ont l’enthousiasme, l’éloquence, l’abondance intarissable. Ont-elles la grâce ? C’est une autre affaire. Avez-vous remarqué ? ces femmes, qui ont une pensée virile, ont aussi un genre de sérieux plus fatigant que les hommes les plus hauts sur cravate. Je les trouve plus difficiles à lire que M. de Bonald ou M Guizot. Elles ont une facilité effroyable à penser avec élévation, avec sublimité. Il faut respecter ces femmes à « considérations » ; mais l’avouerai-je ? je fais pour les aimer un inutile effort. Pourquoi ? Leurs plus éminentes qualités me semblent presque incompatibles avec l’idée que je me fais, peut-être naïvement et faussement, du charme féminin. Si