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les trouver exquises. Il est vrai que le souvenir de leur sexe peut également se retourner contre elles… En somme, soit que l’idée d’un autre charme que celui de leur style agisse sur nous, soit qu’au contraire l’effort de leur art et de leur pensée nous semble attenter aux privilèges virils, il est à craindre que nous ne les jugions avec un peu de faveur ou de prévention, qu’elles ne nous plaisent à trop peu de frais dans les genres pour lesquels elles nous semblent nées (lettres, mémoires, ouvrages d’éducation), et qu’elles n’aient, en revanche, trop de peine à nous agréer dans les genres que nous considérons comme notre domaine propre (poésie, histoire, critique, philosophie). Il faut prendre garde aussi que certains traits de leur vie, qui nous laisseraient indifférents si nous les rencontrions dans une vie d’homme, ne nous disposent à la rigueur ou à trop d’indulgence et que nous ne soyons induits à trop bien traiter celles qui ont été vertueuses et trop mal celles qui ne l’ont pas été — à moins que ce ne soit tout juste le contraire. Car, lorsqu’il s’agit des femmes, même mortes, même inconnues et très lointaines, il peut arriver que l’obscur attrait du sexe altère l’équité de nos appréciations. On peut gauchir ici par galanterie, ressouvenir voluptueux ou morgue masculine. Dès que l’Ève éternelle ou l’éternelle Phryné est citée devant nous, nous sommes en cause, sciemment ou non ; et qui répondra de notre entière liberté de jugement ? Mais comme, après tout, on n’en peut pas répondre