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appartient presque en propre à M. Octave Feuillet. Si l’on en voulait chercher les origines, je crois bien qu’il faudrait remonter aux femmes de Racine et, par delà, jusqu’à la Phèdre d’Euripide. Mais les femmes de M. Octave Feuillet sont plus singulières ; leur détraquement nous est moins expliqué. C’est peut-être avec la mystérieuse Amélie de René qu’on leur trouverait, à la rigueur, le plus de ressemblance.

Ces amoureuses ne ressemblent point à celles de George Sand, qui sont, en général, de tempérament sanguin, ni à celles de Balzac, qui sont plutôt des « cérébrales ». Les femmes de M. Octave Feuillet sont des nerveuses. Étranges, capricieuses, se connaissant mal elles-mêmes, elles vont, d’une marche inégale et folle, jusqu’au bout de leur passion. Elles effrayent et elles attirent, et, comme elles cachent une âme démente, mue par des forces aveugles et irrésistibles, dans des corps délicieux de patriciennes, elles sont à la fois redoutables et charmantes. Elles ont toutes ceci de commun, qu’elles procèdent par à-coups, sous l’impulsion subite d’un sentiment ou d’un désir plus fort qu’elles, si bien que leur conduite a presque toujours quelque chose de décousu et d’incohérent, et que souvent le lien échappe entre leurs démarches successives. Elles ont la parole brève, hardie, directe et comme involontaire. Elles ne sont ni tendres ni même sentimentales. Elles sont extrêmement sensuelles, quelquefois sans le savoir. Elles subissent profondément les influences de la tempéra-