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présenter des états d’esprit et de conscience différents du nôtre ; l’étude de l’histoire, la multiplicité des expériences faites avant nous, le cours du temps, même la vieillesse de la race, un certain affaiblissement des caractères et de la faculté de croire et d’agir, tout cela a développé chez nous la curiosité et l’imagination sympathique. Il n’y a rien de plus. Nous concevons peut-être mieux l’âme du moyen âge, mais nous en sommes encore plus loin que les écrivains des siècles classiques.

En êtes-vous sûrs ? Pour comprendre et pour aimer certains sentiments, il faut du moins en porter les germes en soi, il faut être capable de les ressusciter, fût-ce par jeu, de les éprouver, fût-ce un moment et en sachant bien que c’est une comédie intérieure qu’on se donne et dont on reste détaché. Toujours est-il qu’une âme antérieure à la nôtre dort en nous et qu’il n’est pas impossible de la réveiller et de jouir de ces réveils avec une demi-sincérité. Nous sommes devenus habiles dans ces exercices, nous nous y plaisons, et à cause de cela notre littérature diffère peut-être moins profondément de celle du moyen âge que la littérature du XVIIe et du XVIIIe siècle. Ou plutôt c’est comme si, sous le flot envahisseur des lettres antiques, un courant secret, une Aréthuse avait persisté, qui, longtemps refoulée et opprimée, a percé peu à peu les couches d’eau supérieures et s’y est mêlée…

Remarquez, je vous prie, que jamais depuis le