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nyme, d’une vérité si brutale, qui se trouve au musée de la Renaissance. Il n’y a pas à dire, le grand Condé était laid, si la laideur consiste dans un éloignement par trop audacieux des proportions moyennes du visage humain. Un nez démesuré ; de grands yeux qui devaient être beaux, mais à fleur de tête ; pas de joues : deux profils collés ; une bouche vilaine, soulevée par les dents obliques ; en somme, un nez et deux yeux, et presque rien avec ; une laideur puissante, fascinatrice si l’on veut, qui devait s’illuminer et devenir superbe dans les moments de passion ou dans l’ivresse des batailles. Si l’on avait à imaginer quelque chef de bande idéal, le type même de l’aventurier et de l’homme de proie, c’est bien cette tête-là qu’on lui mettrait sur les épaules. C’est là proprement une tête d’aigle, comme celle de Mirabeau est une tête de lion, celle de Robespierre une tête de renard, celle de Louis XVI une tête de mouton. Eh bien ! cette tête magnifique, extraordinairement expressive, M. le duc d’Aumale en a eu peur, et cela n’est pas bien pour un amateur et un collectionneur de tableaux. Il est allé chercher je ne sais quel portrait officiel peint par Stella, et il en a fait faire, sous la direction et avec la complicité de M. Henriquel Dupont, une gravure adoucie et affadie qui lui arrondit les joues, qui lui donne un menton, qui lui façonne une bouche aimable, qui l’enjolive et l’éteint, qui le passe tout entier à la pierre ponce et qui, finalement, le fait ressembler à Mlle Bartet : bref, un portrait flatté, souriant, convenable, à l’usage de la famille.