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malheureux ne peut écrire que sur l’économie politique ou sur l’histoire diplomatique ou militaire, et là encore il n’a jamais ses coudées franches.

Oui, cela est triste d’être prince. On vit et on meurt isolé de l’immense humanité. On ne voit guère, de la grande comédie, que des fragments arrangés. On n’a de visions un peu curieuses, on ne découvre à plein les hommes qu’en temps d’émeute et de révolution. En somme, s’il est vrai, comme je le pense, que la vie la plus digne d’être vécue est celle qui nous permet de connaître l’humanité à tous ses étages, sous tous ses aspects, par tous ses côtés pittoresques et dans tous ses recoins moraux, le mieux est d’être né du peuple, et du plus petit. Car d’abord c’est le seul moyen de voir de près les mœurs, les sentiments, les âmes des humbles et la lutte pour l’existence sous ses formes les plus simples et les plus tragiques. On voit ainsi la vie à nu et l’on se fait un cœur compatissant. On apprend en même temps ce qu’il peut y avoir quelquefois d’originalité intellectuelle et morale sous la misère et l’humilité des apparences. Et de là, si l’on a un peu de bonheur, on peut monter, traverser tous les mondes ou même y séjourner successivement, connaître les bourgeois, les marchands, les bohèmes, les artistes, les politiques et ceux qu’on appelle les gens du monde. Et il n’est pas mauvais non plus d’avoir été élevé par les prêtres, puis par l’Université, d’avoir reçu une éducation tour à tour religieuse et purement laïque : cela vous aide dans la suite à comprendre un plus grand