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pour rimer, il faut chercher la rime, que, pour faire des vers, il faut observer la mesure, et que, ni la rime ni le rythme ne se présentant d’eux-mêmes, il faut quelquefois, pour exprimer une idée en vers, y employer d’autres mots que pour l’exprimer en prose. L’essentiel est que ces mots cherchés, et qui ne s’imposaient pas plutôt que d’autres, paraissent venus spontanément, ou que, s’ils semblent tirés d’un peu loin, ce défaut de naturel soit compensé par le plaisir que donne le sentiment de la difficulté vaincue, ou par quelque effet de rythme, d’harmonie, de sonorité.

Par exemple, dans ces vers de Victor Hugo :

  À chaque porte un camp, et — pardieu ! j’oubliais,
  Là-bas, six grosses tours en pierre de liais,

la cheville est patente, insolente, énorme ; mais on la lui passe parce qu’elle est amusante et donne une rime rare.

Voici une cheville d’une autre espèce :

  C’est là que nous vivions. — Pénètre,
  Mon cœur, dans ce passé charmant.
  Je l’entendais sous ma fenêtre
  Jouer le matin doucement.

Il est certain que la fin du premier vers et tout le second forment une cheville ou que, tout au moins, si le poète avait écrit en prose, il n’aurait guère senti le besoin d’apostropher ici son cœur. Mais, d’autre part, cette parenthèse n’a rien de choquant et la dic-