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unique auquel reste attaché le nom d’un poète ait été arbitraire et maladroit et que la pièce trop connue fasse tort à d’autres qu’elle dispense de lire et qui valent quelquefois mieux. Car justement ce qui fait qu’une poésie devient populaire, est insérée dans les recueils de morceaux choisis, dans les Abeilles ou les Corbeilles de l’enfance, ce sont bien sans doute des mérites réels, mais c’est aussi une certaine banalité dans le sentiment, la composition ou le style.

J’ai peur que ce ne soit le cas pour les Deux Cortèges. L’examen de ce sonnet nous montrera ce qu’est M. Soulary quand il est le plus de sa province. Comme les choses les plus connues le sont toujours moins qu’on ne croit, et que, dans tous les cas, il peut se trouver d’honnêtes gens qui ne sachent point par cœur ce morceau fameux, on me laissera le remettre sous les yeux du lecteur.

  Deux cortèges se sont rencontrés à l’église.
  L’un est morne : il conduit le cercueil d’un enfant ;
  Une mère le suit, presque folle, étouffant
  Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise.

  L’autre, c’est un baptême. Au bras qui le défend
  Un nourrisson gazouille une note indécise ;
  Sa mère, lui tendant le doux sein qu’il épuise,
  L’embrasse tout entier d’un regard triomphant.

  On baptise, on absout, et le temple se vide.
  Les deux femmes alors, se croisant sous l’abside,
  Échangent un coup d’œil aussitôt détourné ;

  Et, merveilleux retour qu’inspire la prière,
  La jeune mère pleure en regardant la bière,
  La femme qui pleurait sourit au nouveau-né.