Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/171

Cette page n’a pas encore été corrigée

Cet innocent qui est sorcier est grand par tout ce qu’il rappelle :

Savant dans la découverte et l’emploi des herbes, pénétré d’une confiance aveugle en leur puissance, ne descendait-il pas en ligne droite du berger antique dont Virgile a chanté les croyances ? « Méris m’a fait présent de ces plantes cueillies dans le Pont, où elles croissent nombreuses. J’ai vu Méris, par la vertu de telles herbes, se changer en loup et traverser d’un bond les longues forêts, ou faire sortir les morts de leurs tombeaux ; je l’ai vu de même transporter les moissons d’un champ dans un autre. »

André Fleuse fait songer aussi aux ascètes de la Thébaïde, dont la solitude faisait des voyants, et, par delà, aux plus anciens hommes, aux pâtres chaldéens. André Fleuse connaît les herbes ; il prédit l’avenir, il jette des sorts, il « sait les mots ». Ce n’est qu’à regret qu’il écrase la mouche qui menace ses ouailles ; et quand il a pris le loup il n’ose le tuer, il le laisse partir ; car Fleuse sait que partout, dans les animaux, dans les insectes, dans les plantes, dans les choses, dans le vent, dans la nuit, il y a des âmes, des esprits inconnus auxquels il ne faut pas toucher :

Son idée, que l’analyse n’avait pas affaiblie, qui, en l’absence de toute formule, s’était changée en sentiment, vivait robuste dans ce crépuscule intellectuel : l’idée de l’homme chétif soumis à son grand gardien, l’Invisible.

J’aime particulièrement les pages où M. de Glouvet