Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/152

Cette page n’a pas encore été corrigée

la palpitation des germes et pour boire des yeux toutes les nuances du vert ; capables d’y passer même la nuit pour y surprendre des effets de lune, pour assister à des mystères, pour s’enchanter de la féerie qui se lève dans les taillis aux heures crépusculaires.

Et je suis tenté de croire que, parmi les causes qui nous ont rendus si différents des hommes d’autrefois, même des hommes d’il y a cent ans, il faut tenir grand compte de celle-là, et que cet amour de la nature a profondément modifié l’âme humaine (je ne parle, bien entendu, que d’une élite). Car cet amour suscite une sorte de rêverie qui nous apaise et nous rend plus doux, étant faite d’une vague et flottante sympathie pour toutes les formes innocentes de la vie universelle. Il nous emplit d’une sensualité tranquille et qui nous préserve des emportements de l’autre. Il nous fait éprouver que nous sommes entourés d’inconnu et réveille en nous le sentiment du mystère, qui risquerait de se perdre par l’abus de la science et par la sotte confiance qu’elle inspire. Il nous procure cette douceur de rentrer, volontaires et conscients, dans le royaume de la vie sans pensée, dans notre pays d’origine. Il nous insinue une sérénité fataliste, qui est un grand bien ; il assoupit en nous toute la partie douloureuse de nous-mêmes ; et ce qui est charmant, c’est que nous la sentons qui s’endort et que nous nous en souvenons sans en souffrir. — Il serait beau de voir un jour (et pourquoi pas ?) l’humanité vieillie, dégoûtée des agitations stériles,