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sance de l’étreinte ; puis il se remet à la pervertir par des conversations hardies, « en lui mettant sous les yeux, au moyen d’exemples impressionnants pris autour de lui, la dépravation du monde, découlant, hélas ! disait-il, d’une sorte de fatalité dans les besoins, les conventions, les usages auxquels se trouve subordonnée son existence même. » — Mais justement la méthode de Trièves est trop parfaite, trop concertée. Rien d’irréfléchi, d’involontaire. L’aime-t-il ? Il la désire assurément ; mais son plus grand plaisir est de sentir qu’il la déprave : plaisir tout intellectuel. Quand il se décide à faire un peu violence à Edmée, on pressent que c’est par logique, parce qu’il faut toujours en venir là, pour achever l’œuvre commencée et aussi « pour voir ». Il a la science et l’adresse des célèbres séducteurs des romans du XVIIIe siècle : il n’a pas leur entrain ni leur fougue ; il n’a pas ce qui rend le désir irrésistible ; il ne tient pas assez au dénouement. C’est un Valmont désenchanté et anémié.

Au reste, si vous tenez compte de la différence des sexes et des rôles, vous constaterez chez plusieurs des femmes de M. Rabusson quelque chose d’assez semblable et, dans l’amour même, une certaine incapacité d’aimer absolument. D’abord il n’y a pas une seule ingénue, et peut-être, en effet, ne peut-il pas y en avoir dans ce monde particulier. Même Geneviève de Rhèges n’en est pas une. Quant aux jeunes filles émancipées et aux jeunes femmes, elles aiment avec trop d’esprit. Ce qu’elles voient, ce qu’elles entendent, ce qu’elles