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devaient avoir de ces immobilités inexprimables. » La mer d’Islande a pour lui « des aspects de non-vie, de monde fini ou pas encore créé ». Les paysages de Bretagne lui font l’effet de paysages primitifs, tels qu’ils étaient il y a trois mille ans. — Mais tout de suite, tandis qu’il songe à l’énormité et à la durée de la terre, il la sent exiguë et éphémère ; car qu’est-ce que tout cela, qui n’est pas infini et éternel ? Le sentiment incurable de la vanité des choses s’insinue dans ses plus vivantes peintures. À chaque instant l’idée de la mort les assombrit. Elle surgit naturellement, toute spontanée et toute nue, et l’effet en est toujours très puissant, car, nous avons beau faire, rien n’est plus triste, ni plus effrayant, ni plus incompréhensible que la mort. Enfin cette habitude des vastes spectacles naturels et des mélancolies où ils nous jettent traîne forcément après soi un certain dédain de ce qui tente et occupe les écrivains sédentaires, des civilisations étroites et de la vie des cités d’Europe, si déprimée et si factice. L’étude minutieuse des vices et des passions de quelque habitant des villes attire peu, quand on a la terre à soi. À qui a parcouru les cinq continents et la surface entière de la planète, les sujets qui passionnent Balzac semblent mesquins et sans intérêt.

Mais, de plus, c’est l’exotisme même de ses romans qui conseillait et imposait à Pierre Loti les sujets simples et les drames élémentaires. Les sujets ne pouvaient guère être que des histoires d’amour avec les femmes des différents pays que traverse le poète :