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brutalement, voilà tout. — Oui ; mais Pierre Loti, élevé par bonheur en dehors de la littérature, est ici byronien sans le savoir et avec une entière sincérité. Il recommence, tout seul, pour son compte, l’évolution morale de son siècle. Et bien a pris à Pierre Loti de passer par la désespérance et la négation absolues ; car, à partir de ce moment, il parcourt le monde sans autre souci que d’y recueillir les sensations les plus fortes ou les plus délicates. Il ne considère plus l’univers visible que comme une proie offerte à son imagination et à ses sens. Et ce futur grand écrivain s’assigne un idéal de vie de plus en plus différent de la vie de l’écrivain et du littérateur de profession. Chétive et misérable vie, en effet, que celle du scribe occupé dans son coin à polir ses phrases et à noter ses petites observations sur un tout petit groupe humain, quand le monde est si vaste et l’humanité si variée ! Et que sont ces pauvres petits plaisirs intellectuels auprès des grandes joies animales de la vie physique ! Loti fortifie ses muscles, se fait un corps agile, souple et robuste, un corps de gymnaste et de clown. Ce corps, il le pare richement et le déguise en cent façons : il trouve à cela un plaisir d’enfant ou de sauvage. Il noue des amitiés étroites avec des êtres primitifs et beaux, Samuel, Achmet, Yves, créatures plus nobles et plus élégantes que les civilisés médiocres, et avec qui son esprit n’a point à s’efforcer ni à se contraindre et goûte d’ailleurs le plaisir de la domination absolue. Il jouit de la variété inépuisable des aspects de la terre, et plus