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esprits ont assez de force et d’assurance pour établir ces longues suites de jugements, pour les appuyer sur des principes immuables. Ces esprits-là sont, par volonté ou par nature, des miroirs moins changeants que les autres et, si l’on veut, moins inventifs, où les mêmes œuvres se reflètent toujours à peu près de la même façon. Mais on voit aisément que leurs doctrines n’ont pas en elles de quoi s’imposer à toutes les intelligences et qu’elles ne sont jamais, au fond, que des préférences personnelles immobilisées.

On juge bon ce qu’on aime, voilà tout (je ne parle pas ici de ceux qui croient aimer ce qu’on leur a dit être bon) ; seulement les uns aiment toujours les mêmes choses et les estiment aimables pour tous les hommes, les autres, plus faibles, ont des affections plus changeantes et en prennent leur parti. Mais dogmatique ou non, la critique, quelles que soient ses prétentions, ne va jamais qu’à définir l’impression que fait sur nous, à un moment donné, telle œuvre d’art où l’écrivain a lui-même noté l’impression qu’il recevait du monde à une certaine heure.

Puisqu’il en est ainsi et puisque, au surplus, tout est vanité, aimons les livres qui nous plaisent sans nous soucier des classifications et des doctrines et en convenant avec nous-mêmes que notre impression d’aujourd’hui n’engagera point celle de demain. Si tel chef-d’œuvre reconnu me choque, me blesse ou, ce qui est pis, ne me dit rien ; si, au contraire, tel livre d’aujourd’hui ou d’hier, qui n’est peut-être pas