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et de là une mélancolie. Considéré du point de vue de M. de Heredia et par ses surfaces brillantes, l’univers est magnifique et glorieux ; mais tout y croule, tout y fuit d’une fuite éternelle. M. de Heredia a senti plus d’une fois la tristesse des splendeurs éteintes et la désolation des ruines. Ces tableaux où se plaît son rêve enchanté, il les évoque souvent parce qu’ils sont beaux, mais quelquefois aussi parce qu’ils ne sont plus. Rappelez-vous l’adorable sonnet Sur un marbre brisé, où la bonne Nature enveloppe de feuilles et de fleurs la vieille statue éclopée :

La mousse fut pieuse en fermant ses yeux mornes…

Lisez les « sonnets épigraphiques » : le Dieu Hêtre, Nymphis Augustis sacrum, le Vœu. Comme ce sonnet de l’Exilée est touchant, encore qu’il soit splendide ! Pourquoi ? Parce qu’il nous parle de l’exil d’une femme et surtout parce qu’il a été composé sur une ruine, une pierre mutilée où se déchiffre une moitié d’inscription (MONTIBV… CARRIDEO… SABINVLA V.S.L.M.), et qu’il nous parle ainsi de cet autre exil d’où rien ni personne n’est jamais revenu et qui s’appelle le passé :

    Dans ce vallon sauvage où César t’exila,
    Sur la roche moussue, au chemin d’Ardiège,
    Penchant ton front qu’argente une précoce neige,
    Chaque soir, à pas lents, tu viens t’accouder là.

    Tu revois ta jeunesse et ta chère villa
    Et le Flamine rouge avec son blanc cortège.
    Et lorsque le regret du sol latin t’assiège,
    Tu regardes le ciel, triste Sabinula…