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rêveries de Lamartine ou la passion de Musset beaucoup de gens en sont capables, et Musset et Lamartine ne sont poètes que pour les avoir exprimées de la façon que l’on sait. Mais justement il est difficile de distinguer ce qui, dans la beauté totale de quelques-uns de leurs vers, revient au sentiment et ce qui revient à la forme. La valeur morale de certaines émotions, la noblesse de certaines pensées peuvent faire illusion : or ni la tendresse ni l’éloquence ne sont proprement poésie. Pour Dieu ! que le poète se garde d’être trop touchant ou de faire paraître un trop bon cœur ! car cela est à la portée de tout le monde et je me demanderai si c’est à la beauté de ses vers que je suis sensible, ou à la beauté de son âme. C’est donc par un excès de loyauté et de délicatesse artistique que les Parnassiens se déclaraient impassibles, ne voulaient exprimer que la beauté des contours et des couleurs ou les rêves et les sentiments des hommes disparus. Et à ce scrupule de poètes irréprochables se mêlait naturellement un orgueil aristocratique, la fierté et peut-être aussi l’affectation de ne jamais traduire dans la langue des dieux aucune émotion vulgaire, de se confiner dans des impressions exquises, rares, difficiles, inaccessibles à la foule.