lointain et que le fond nous en reste
étranger ; considérer le monde comme un déroulement de tableaux vivants ;
se désintéresser de ce qui peut être dessous et en même temps, ironie
singulière, s’attacher (toujours par le dehors) aux drames provoqués par
les diverses explications de ce « dessous » mystérieux ; n’extraire de la
« nuance » des phénomènes que la beauté qui résulte du jeu des forces et
de la combinaison des lignes et des couleurs ; planer au-dessus de tout
cela comme un dieu à qui cela est égal et qui connaît le néant du monde :
savez-vous bien que cela n’est point dépourvu d’intérêt, que l’effort en
est sublime, que cet orgueil est bien d’un homme, qu’on le comprend et
qu’on s’y associe ? Savez-vous bien que cela suppose deux sentiments
éternels et très humains, portés l’un et l’autre au plus haut degré : le
désenchantement de la vie, et, seul remède durable, l’amour du beau, et
du beau sans plus : j’entends le beau plastique, celui qui est dans la
forme et qui peut se passer de la notion du bien, celui qu’on sent et
qu’on reconnaît indépendamment de tout jugement moral, sans avoir de
haine ou d’amour pour ce qui en fait la matière, que ce soit la Nature
ou les actions des hommes ?
Or, l’union de ces deux sentiments semble devoir être, dans l’art, le produit extrême d’une civilisation très vieille et très savante, comme est la nôtre. Ainsi rien n’est plus moderne, sous ses formes bouddhiques, grecques ou médiévales, que la poésie de M. Leconte