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LES CONTEMPORAINS.

La Nature a chez nous l’ondoiement et la grâce, quelque chose qui rit, qui flotte et se renouvelle. Elle caresse et n’éblouit pas. Elle a des coins intimes qui engagent, qui accueillent et qu’on dirait intelligents. Bénis soient les coteaux modérés, les saules, les peupliers et les ruisseaux de la Touraine ! La Cybèle orientale est dure, fixe, métallique, insensible et semble avoir moins de conscience que celle de chez nous. — C’est à la Nature énorme, éblouissante et sans âme que le poète, hostile aux attendrissements, consacre, comme il devait, sa palette splendide où manquent les demi-teintes. Il la décrit comme un enchantement des yeux par où le cœur n’est point sollicité. La lumière excessive et qui exclut la douceur des pénombres, la végétation exubérante aux contours tranchés, le chatoiement des insectes et des oiseaux précieux, l’attitude et les mouvements des fauves dans la chasse ou dans le sommeil, le jeu des lignes précises dans la clarté uniforme, une vie intense où l’on ne sent pas de bonté, où la rigidité de la flore semble aussi inhumaine que la rapacité de la faune, la tristesse sèche qui vient peu à peu d’un spectacle trop brillant qu’on regarde sans rêver et sans que l’œil puisse se reposer dans le vague, — voilà de quoi se composent ces poèmes, aussi barbares vraiment que les autres[1]. C’est comme

  1. La Fontaine aux lianes ; la Ravine Saint-Gilles ; les Éléphants ; la Forêt vierge ; la Panthère noire ; le Jaguar ; Midi, etc.