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LECONTE DE LISLE.

Défendus aux vivants, d’où nul n’est revenu ;
Mais, l’âme par delà l’horizon morne et nu,
De mille et mille troncs couvrant les noires ondes,
La foule des Kimris vogua vers l’inconnu[1].


Arrivés au terme de leur énergique pèlerinage, ils eurent à lutter contre une nature rude et pauvre de soleil, dont l’inhumanité les condamnait à l’action violente, tandis que ses aspects les inclinaient aux rêves vagues et brumeux. Aussi éloignés de la sérénité grecque que de l’inertie orientale, leur activité est aventureuse et farouche, leur mythologie féroce et obscure, leur tristesse noire, mais cramponnée à la vie. Et cette vie n’est que massacres, expéditions de pirates, combats obstinés contre les éléments et contre les hommes, furieuses orgies avec de sombres retours sur soi et des mélancolies confuses. Mais le plaisir qu’ils prennent au déploiement des forces brutales et leur intelligence bornée les préservent des désespoirs métaphysiques. Ce que sont les passions chez ces hommes, M. Leconte de Lisle nous le dit dans la Mort de Sigurd, l’Épée d’Angantyr, le Cœur d’Hialmar, etc. Il dit leur fierté, leurs morts silencieuses, les chants de leurs bardes, leurs fêtes, leurs mystérieuses assemblées, leur attente d’un paradis guerrier, sensuel et grave. La Légende des Nornes déploie leur théogonie bizarre et grandiose : la naissance d’Ymer et des géants, qui sont les puissances mauvaises ; la naissance

  1. Le Massacre de Monah.