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LECONTE DE LISLE.


pour un motif ou pour un autre il n’ait souhaité, non une fois, mais souvent, de mourir plutôt que de vivre. Cette vie si courte, les maladies qui la troublent, les calamités qui surviennent la font paraître longue. Ainsi la mort, à cause de l’amertume de la vie, est pour l’homme le refuge le plus désirable, et la divinité qui nous fait goûter quelque douceur à vivre s’en montre aussitôt jalouse[1]. » — Prométhée, l’Orestie, Œdipe roi nous montrent l’homme instrument et jouet du destin. Ou bien il subit ses passions qu’il dit lui être envoyées par les dieux : Sua cuique deus fit dira cupido[2]. — « Chère fille, dit Priam à Hélène, à mes yeux tu n’es point coupable, mais les dieux[3]. » Voyez aussi la Phèdre d’Euripide. — Qu’importe ! chez cette merveilleuse race, l’homme aime l’action, même quand il la sait inutile et décevante. « Laissons ces discours sur l’existence humaine, quoiqu’elle soit ce que tu la décris[4]. » Les durs commencements dans une terre toute neuve et qui n’était pas toujours clémente, les longues luttes entre Pélasges, Hellènes, Doriens, Ioniens, et aussi les grands cataclysmes naturels dont plusieurs de leurs mythes ont conservé le souvenir, avaient fait aux Grecs une âme à la fois active et résignée, où le plaisir de vivre et d’agir se tempérait par instants de mélancolie fataliste. Après

  1. Polymnie, 46.
  2. Énéide, IX.
  3. Iliade, III.
  4. Hérodote, Polymnie, 47.