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l’honneur, la tolérance pour les opinions, l’indulgence pour certaines faiblesses. Mais surtout l’indépendance de pensée est un crime. Dans la réalité, cela s’accommode. L’Église souffre ce qu’elle ne peut empêcher : elle consent que les fidèles, qui ne sont que le troupeau, se composent un mélange de morale humaine et de morale chrétienne ; elle ne leur demande que d’accepter ses dogmes en bloc et d’observer certaines pratiques. Beaucoup de fidèles sont d’ailleurs des âmes simples, dont la religion est toute de sentiment. Il est des questions que les fidèles écartent, qu’ils ne se posent même pas : la foi d’un grand nombre repose sur des malentendus, ou sur beaucoup d’ignorance et d’irréflexion. Un laïque peut donc, sans trop se damner, n’être au fond qu’un honnête homme. Un prêtre, non : il faut qu’il soit beaucoup plus, ou, si l’on veut, autre chose. L’abbé Jourfier, qui n’a que des vertus humaines, est placé par sa profession dans des circonstances telles qu’il s’aperçoit que ces vertus vont contre les fondements mêmes de la foi, car elles impliquent toutes la confiance aux lumières naturelles et, plus ou moins, l’orgueil de l’esprit (superbia mentis). Or le prêtre peut se permettre un autre orgueil, mais non celui-là. Le jour où l’évêque Jourfier prononce l’oraison funèbre de son grand-père, le conventionnel régicide et déiste, il fait acte d’honnête homme, mais de mauvais prêtre. De même quand il lutte avec tant de fureur contre les congrégations et qu’il proteste contre la tyrannie de Rome. C’est évi-