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LECONTE DE LISLE.


souffrent et voudraient oublier. La déesse Ganga les entend et leur dit d’aller à Baghavat. Ils se lèvent, gravissent la divine montagne où siège Baghavat et, sortant de l’Illusion qui enveloppe le dieu, entrent en lui et s’unissent à l’Essence première.

Heureux Maitreya ! Heureux Narada ! Heureux Angira ! — Pourtant, s’il est sûr que la vie est foncièrement mauvaise, il ne l’est pas moins qu’elle semble douce à certaines heures et que les passions nous enivrent délicieusement avant de nous meurtrir. — Çunacépa est un acheminement vers une philosophie moins hostile à l’illusion et à l’action. Le fils du Richi, qui doit, à peu près comme Iphigénie, être immolé pour expier la faute du roi Maharadjah, aime Çanta et ne veut pas mourir, et Çanta ne veut pas qu’il meure. Les deux enfants vont consulter le vieil ascète Viçvaméthra. Si desséché qu’il soit par l’extase, si avant qu’il se soit enfoncé dans le nirvâna, le solitaire, « rêvant comme un dieu fait d’un bloc sec et rude », sent à leur voix suppliante remuer en lui quelque chose d’humain et « entend chanter l’oiseau de ses jeunes années ». Il révèle à Çunacépa qu’il échappera à la mort en récitant sept fois l’hymne sacré d’Indra. En effet, au moment du sacrifice, un étalon prend la place de la victime. — Maudite soit la vie ! et que les brahmanes rêvent, et que la vision s’évanouisse dans leurs yeux fixes, le sentiment dans leur cœur et la pensée dans leur cerveau ! Le sang de la jeunesse sera toujours prompt à la duperie de Mâya. Rien n’est