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LES CONTEMPORAINS.


et que l’on conserve juste assez de conscience pour souhaiter qu’elle s’évanouisse tout à fait, parce qu’alors il n’y aurait plus rien, plus même d’images, et que cela vaudrait mieux.

Qui expliquera l’étrange plaisir qu’on prend parfois à désirer l’absorption du moi dans l’être, c’est-à-dire à désirer le néant ou à croire qu’on le désire ? — La perfection de la forme et la curiosité du fond suffiraient à faire goûter le poème de Baghavat ; mais voulez-vous y trouver un charme poignant ? Unissez-vous de cœur, cela est aisé, avec les trois Brahmanes dans la haine de la vie, dans le sentiment que rien ne sert à rien et que toute passion apporte plus de peine que de joie ; et pénétrez-vous de cet hymne lugubre :


Une plainte est au fond de la rumeur des nuits,
Lamentation large et souffrance inconnue
Qui monte de la terre et roule dans la nue ;
Soupir du globe errant dans l’éternel chemin,
Mais effacé toujours par le soupir humain.
Sombre douleur de l’homme, ô voix triste et profonde,
Plus forte que les bruits innombrables du monde,
Cri de l’âme, sanglot du cœur supplicié,
Qui t’entend sans frémir d’amour et de pitié ?
Qui ne pleure sur toi, magnanime faiblesse,
Esprit qu’un aiguillon divin excite et blesse,
Qui t’ignores toi-même et ne peux te saisir,
Et, sans borner jamais l’impossible désir,
Durant l’humaine nuit qui jamais ne s’achève,
N’embrasse l’infini qu’en un sublime rêve !…
Ô conquérant vaincu, qui ne pleure sur toi ?


Maitreya se souvient d’une jeune fille, Narada pleure sa mère morte, Angira cherche et doute. Tous trois