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que ? On trouve chez lui des nerfs, de la modernité, du « stylisme », de la vérité vraie, du pessimisme, de la férocité ; mais on y trouve aussi et au même degré la gaieté, le comique, la tendresse, le goût de pleurer. Ce qui distingue son talent, ce n’est donc pas la prédominance démesurée d’une qualité, d’un sentiment, d’un point de vue, d’une habitude : c’est plutôt un accord de qualités diverses ou opposées, et, si je puis dire, un dosage secret dont il n’est pas trop commode de fixer la formule. « Si l’on examine les divers écrivains, dit Montesquieu[1], on verra peut-être que les meilleurs et ceux qui ont plu davantage sont ceux qui ont excité dans l’âme plus de sensations en même temps. » Cette remarque peut s’appliquer sûrement à M. Alphonse Daudet ; mais il faut ajouter qu’une autre marque et plus particulière de son talent, c’est sans doute cette aisance avec laquelle il passe et nous fait passer d’une impression à l’autre et ébranle à la fois toutes les cordes de la lyre intérieure. Et c’est, je pense, de cette absence d’effort, de cette rapidité à sentir, de cette légèreté ailée que résulte la grâce, ou le charme. Ainsi nous revenons, après un long détour et sans nulle préméditation, au mot qui nous était naturellement venu en commençant l’examen des Contes. Pourtant le mot ne dit pas tout. Ce charme inné, irrésistible, fatal, s’unit chez notre écrivain à la plus scrupuleuse re-

  1. Essai sur le goût.