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surannées ; on en a tant abusé ! Fi « du mélodrame où Margot a pleuré ! » Et, de fait, nombre des romans de la nouvelle école sont des œuvres violentes et froides et ne donnent que des émotions pessimistes, c’est-à-dire des émotions qui, par delà les souffrances des individus, vont à la grande misère universelle. Ces romans nous troublent, nous secouent, nous oppressent par la sensation des fatalités cruelles ; ils nous attendrissent rarement. Car il s’en faut que le « pathétique » d’une histoire soit toujours en proportion de la grandeur des misères ou des souffrances étalées. Il y a eu, semble-t-il, dans le roman, une baisse du « pathétique » proprement dit par l’envahissement de la physiologie et par la défaveur où est tombé le libre arbitre. À la place, on a eu je ne sais quelle tristesse morne, sèche, accablante, l’impression singulière qui se dégage des livres de M. Zola. Car la pitié se change en un sentiment âpre et pénible quand tous les souffrants dont on nous développe la misère se trouvent être à la fois ignobles et irresponsables.

Rien de tel dans les contes de M. Alphonse Daudet. La tristesse qui s’y rencontre n’implique point le dégoût théorique du monde comme il est, un parti pris féroce, une malédiction jetée sur notre race. Ce qui excite la pitié, Aristote l’écrivait il y a longtemps, c’est le malheur immérité d’un homme semblable à nous et en qui nous puissions nous reconnaître sans être dégoûtés de nous-mêmes : et la pitié est plus