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LECONTE DE LISLE.


moins dans notre Occident. On a encore d’autres raisons d’accepter la vie. « Pourquoi je vis ? par curiosité, » dit L’Angely. La curiosité de M. Leconte de Lisle sera celle d’un artiste attaché surtout aux manifestations extérieures de l’histoire et de la nature. Il reproduira l’absurde et magnifique spectacle des choses avec un relief qui est à lui. N’ayez crainte : son imagination, après sa superbe, l’a sauvé du suicide ; et le voici qui commence, à travers le temps et l’espace, la revue des apparences, œuvre de Mâya.


V

Justement c’est l’Inde, éprise du néant, qui au début de son pèlerinage esthétique accueille et berce son âme désenchantée de l’action. Il est remarquable que la plus ancienne philosophie soit si complètement pessimiste et que l’homme, dès qu’il a su penser, ait condamné l’univers et renié la vie. Cela donne à réfléchir, d’autant plus que nous-mêmes, les derniers venus et les moins malheureux, nous nous sentons encore inclinés vers la métaphysique vague et désolée où s’assoupissaient nos plus lointains ancêtres. De même que souvent dans le cerveau d’un homme renaissent au déclin de l’âge les songes et les croyances de ses jeunes années, ainsi l’humanité vieillissante refait le songe de sa jeunesse. Oui, c’est charmant