Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/286

Cette page n’a pas encore été corrigée

obtenir un regard ». Le nouveau venu n’est pas plus heureux que les autres. Il a beau supplier et pleurer, évoquer les jours d’autrefois : sa maîtresse ne se souvient de rien, ne le reconnaît pas ; et cela est si douloureux que saint Pierre lui-même ne peut s’empêcher d’être ému.

Voilà un « mystère » qui sent un peu l’hérésie ; car l’Église enseigne que, non seulement les élus oublieront les damnés, mais que les damnés détesteront les élus (je ne donne pas ce dogme pour aimable). Mais il y a, dans cette fantaisie hétérodoxe et compromettante pour saint Pierre, un mélange tout à fait savoureux d’ingénuité, de grâce et de passion. Au petit drame touchant se mêlent les jolis détails d’un paradis d’enfant de chœur, de petit clerc de la manécanterie de Saint-Nizier : « Mes yeux et mon cœur l’ont aussi reconnu, ce petit chérubin vêtu de mousseline, à ceinture d’azur, qui agite dans l’air, de toutes les forces de ses petits bras dodus et rosés, une bannière à fleurs d’or aussi grande que lui ; c’est ma sœur, ma petite sœur Anna, que j’ai tant pleurée. »

Surtout il y a dans ce rêve bien humain une tendresse profonde, un don de faire monter aux yeux de petites larmes chaudes, don précieux que M. Alphonse Daudet conservera même quand il ne fera plus que regarder et qu’il ne rêvera plus guère. Et c’est pour cela que je me suis un peu arrêté sur cette œuvre d’adolescent. Rien de meilleur, en somme, pour peindre le monde comme il est, que d’avoir beaucoup d’ima-