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LECONTE DE LISLE.

amour n’est pas le suprême mensonge et la dernière et incurable illusion faite de la ruine de toutes les autres ; mais volontiers, séduit par le maléfice de ces admirables vers qui aspirent au néant en empruntant à l’Être de si belles images, on s’unirait, avec un désespoir voluptueux, à l’oraison du poète :


Et toi, divine Mort où tout rentre et s’efface,
Accueille tes enfants dans ton sein étoilé ;
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace.
Et rends-nous le repos que la vie a troublé[1] !


« Fantaisie funèbre, dira-t-on, et même assez froide ; car le vrai seul est aimable, disait Boileau, qui n’a point prévu cette poésie. » Mais est-on bien sûr que ce ne soit là qu’un amusement poétique ? Je vous assure qu’à de certaines heures cet amusement vous prend aux entrailles. Parmi nos « minutes singulières », comme dit M. Taine (et ce sont surtout celles-là qui doivent intéresser les poètes), il y a des minutes de dégoût complet, de sincère renonciation à la vie, de pessimisme absolu et sans réserve. Il est certain qu’en dépit de ces minutes on continue de vivre ; et cependant ceux pour qui elles reviennent souvent devraient, s’ils étaient aussi sincères qu’ils le paraissent, se réfugier volontairement dans la mort. Mais point ; et Schopenhauer s’est laissé mourir dans son lit. C’est qu’il y a une sorte de plaisir dans cette morne désespérance dont on ne peut nier la

  1. Dies iræ.