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LES CONTEMPORAINS.

Mais un jour mon souffle redressera ta victime :


Tu lui diras : Adore ! Elle répondra : Non !…

Afin d’exterminer le monde qui te nie,
Tu feras ruisseler le sang comme une mer,
Tu feras s’acharner les tenailles de fer,
Tu feras flamboyer, dans l’horreur infinie,
Près des bûchers hurlants le gouffre de l’Enfer ;

Mais quand tes prêtres, loups aux mâchoires robustes,
Repus de graisse humaine et de rage amaigris,
De l’holocauste offert demanderont le prix,
Surgissant devant eux de la cendre des justes,
Je les flagellerai d’un immortel mépris.

Je ressusciterai les cités submergées,
Et celles dont le sable a couvert les monceaux ;
Dans leur lit écumeux j’enfermerai les eaux ;
Et les petits enfants des nations vengées,
Ne sachant plus ton nom, riront dans leurs berceaux !

J’effondrerai des cieux la voûte dérisoire.
Par delà l’épaisseur de ce sépulcre bas
Sur qui gronde le bruit sinistre de ton pas,
Je ferai bouillonner les mondes dans leur gloire ;
Et qui t’y cherchera ne t’y trouvera pas !

Et ce sera mon jour ! Et, d’étoile en étoile,
Le bienheureux Éden longuement regretté,
Verra renaître Abel sur mon cœur abrité ;
Et toi, mort et cousu sous la funèbre toile,
Tu t’anéantiras dans ta stérilité.


Kaïn se tait. Alors le déluge éclate, et…


Quand le plus haut des pics eut bavé son écume,
Thogorma, fils d’Élam, d’épouvante blêmi,