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mé- imperturbable et limpide ; cela semble venir en effet du pays des neiges et des steppes démesurés.

En somme, c’est peut-être cet artifice, et le contraste qu’il fait avec les passages où la comédienne revient à la diction naturelle, qui fait l’originalité du jeu de Mme Sarah Bernhardt, Ce récitatif est sans doute au rôle parlé ce que sont au rôle mimé les costumes étranges et splendides : il lui donne une couleur et une saveur d’exotisme. Bizarre et vraie, l’un et l’autre à un degré tout à fait surprenant, Mme Sarah Bernhardt a de plus le charme inanalysable. J’avoue que je l’admire très pieusement. Nous vous souhaitons, madame, un bon voyage, tout en regrettant fort que vous nous quittiez pour si longtemps. Vous allez vous montrer là-bas à des hommes de peu d’art et de peu de littérature, qui vous comprendront mal, qui vous regarderont du même œil qu’on regarde un veau à cinq pattes, qui verront en vous l’être extravagant et bruyant, non l’artiste infiniment séduisante, et qui ne reconnaîtront que vous avez du talent que parce qu’ils payeront fort cher pour vous entendre. Tâchez de sauver votre grâce et de nous la rapporter intacte. Car j’espère que vous reviendrez, quoique ce soit bien loin, cette Amérique, et que vous ayez déjà porté plus de fatigues et traversé plus d’aventures que les fabuleuses héroïnes des anciens romans. Rentrez alors à la Comédie-Française et reposez-vous dans l’admiration et la sympathie ardente de ce bon peuple parisien qui vous pardonne tout, vous ayant dû quelques-unes de