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qui est tout de passion, la contraignait heureusement à varier sa mélopée et à rompre ses attitudes hiératiques. Son jeu est redevenu prenant et poignant. Pour traduire l’angoisse, la douleur, le désespoir, l’amour, la fureur, elle a trouvé des cris qui nous ont remués jusqu’à l’âme, parce qu’ils partaient du fond et du tréfond de la sienne. Vraiment elle se livre, s’abandonne, se déchaîne toute, et je ne pense pas qu’il soit possible d’exprimer les passions féminines avec plus d’intensité. Mais, en même temps qu’il est d’une vérité terrible, son jeu reste délicieusement poétique, et c’est ce qui le distingue de celui des vulgaires panthères du mélodrame. Ces grandes explosions demeurent harmonieuses, obéissent à un rythme secret auquel correspond le rythme des belles attitudes. Personne ne se pose, ne se meut, ne se plie, ne s’allonge, ne se glisse, ne tombe comme Mme Sarah Bernhardt. Cela est à la fois élégant, souverainement expressif et imprévu. Faites-y attention : toutes ces silhouettes successives semblent des visions d’un peintre raffiné et hardi. Cela n’est guère simple, mais comme c’est « amusant » ! au sens où on emploie le mot dans les ateliers. Personne non plus ne s’habille comme elle, avec une somptuosité plus lyrique ni une audace plus sûre. Sur ce corps élastique et grêle, sur cette fausse maigreur qui est au théâtre un élément de beauté, car par elle les attitudes se dessinent avec plus de netteté et de décision, la toilette contemporaine, insensiblement transformée, prend une souplesse qu’on ne lui voit pas