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une créature un peut trop lointaine, neigeuse et chantante. Mais avec Fédora, nous avons retrouvé la vraie Sarah, l’unique et la toute-puissante, celle qui ne se contente pas de chanter, mais qui vit et vibre tout entière. Il est vrai que ce rôle, comme celui de Théodora, a été fait expressément pour elle, sur mesure et très collant. Mme Sarah Bernhardt est éminemment, par son caractère, son allure et son genre de beauté, une princesse russe, à moins qu’elle ne soit une impératrice byzantine ou une bégum de Maskate ; passionnée et féline, douce et violente, innocente et perverse, névropathe, excentrique, énigmatique, femme-abîme, femme je ne sais quoi. Mme Sarah Bernhardt me fait toujours l’effet d’une personne très bizarre qui revient de très loin ; elle me donne la sensation de l’exotisme, et je la remercie de me rappeler que le monde est grand, qu’il ne tient pas à l’ombre de notre clocher, et que l’homme est un être multiple, divers, et capable de tout. Je l’aime pour tout ce que je sens d’inconnu en elle. Elle pourrait entrer dans un couvent de clarisses, découvrir le pôle nord, se faire inoculer le virus de la rage, assassiner un empereur ou épouser un roi nègre sans m’étonner. Elle est plus vivante et plus incompréhensible à elle seule qu’un millier d’autres créatures humaines. Surtout elle est slave autant qu’on peut l’être ; elle est beaucoup plus slave que tous les Slaves que j’ai jamais rencontrés et qui souvent étaient Slaves… comme la lune.

Elle a donc merveilleusement joué Fédora. Le rôle,