Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/212

Cette page n’a pas encore été corrigée

jusqu’à trois. D’abord, elle est très intelligente, comprend ses rôles, les compose avec soin, et joue sans se ménager. Mais passons, car ces mérites, d’autres artistes les possèdent au même degré. La seconde cause, c’est son aspect physique et aussi le timbre de sa voix. On sait la part immense des dons naturels dans le talent d’un comédien ou, si vous voulez, dans l’effet total qu’il produit. Bien des gens nerveux, capricieux et frivoles, — à moins qu’ils ne soient, au contraire, très philosophes, — ne tiennent guère compte que de la personne même de l’artiste, qui leur est sympathique ou antipathique, voilà tout. Il leur est fort égal d’être injustes pour ceux dont le nez ne leur revient pas. Mais c’est surtout chez les comédiennes que le physique prend une extrême importance. Or, le ciel a doué Mme Sarah Bernhardt de dons singuliers : il l’a faite étrange, d’une sveltesse et d’une souplesse surprenantes, et il a répandu sur son maigre visage une grâce inquiétante de bohémienne, de gypsy, de touranienne, je ne sais quoi qui fait songer à Salomé, à Salammbô, à la reine de Saba.

Et cet air de princesse de conte, de créature chimérique et lointaine, Mme Sarah Bernhardt l’exploite merveilleusement. Elle se costume et se grime à ravir. Au premier acte, couchée sur son lit, la mitre au front et un grand lis à la main, elle ressemble aux reines fantastiques de Gustave Moreau, à ces figures de rêve, tour à tour hiératiques et serpentines, d’un attrait mystique et sensuel. Même dans les rôles mo-