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raciniennes. Le drame n’est pas là, il est tout entier dans les cœurs. Et il n’est pas non plus dans les coups de poignard. « Ce n’est pas une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie[1]. » Titus et Bérénice, qui ne meurent ni ne sont tués, souffrent autant que les autres héros tragiques. La lutte est horrible, quoique le sang ne coule pas. Ces conventions sociales, si fortes, on n’y croit qu’à moitié : pourtant il faut les subir. Et puis l’amour et la jeunesse n’ont qu’un temps. Et après ? On y songe sans le dire, et cela n’empêche pas le cœur d’être déchiré.

Des situations communes pour point de départ, d’autres situations et des dénouements prévus, amenés par le développement naturel des passions et des caractères, sans aucune intrusion du hasard, voilà tout le théâtre de Racine. Cela semble peu ; mais ce peu, je me demande s’il s’est rencontré une autre fois. Joignez le style, si exact, si souple, si hardi, si élégant, si lié, avec je ne sais quelle grâce incommunicable. Un bon virtuose pourra faire de tous les styles connus des pastiches très passables : qu’il essaye d’imiter Racine ; il fera du Campistron.

Nous voilà en train de ressasser les lieux communs sur le théâtre de Racine : mieux vaut le relire. Cette lecture est proprement un charme, et justement peut-être parce que la vérité extérieure y est réduite à fort peu de chose. On peut se lasser de tout, même du

  1. Préface de Bérénice.