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mour-maladie, qui pousse fatalement ses victimes au meurtre et au suicide, et cela au travers d’un flux et d’un reflux de pensées contraires, par des alternatives d’espoir, de crainte, de colère, et des raffinements douloureux de sensibilité, des ironies, des clairvoyances soudaines, puis des abandons furieux à la passion fatale, un art merveilleux à se faire souffrir, des sentiments de la dernière violence s’exprimant dans un langage d’une simplicité et d’une harmonie exquises — au point qu’on ne sait si l’on a peur de ces femmes ou si on les adore, et qu’on voudrait mourir avec elles et pour elles.

Oh ! que Racine est bien le poète des femmes, et des plus douces, des plus sages, des plus tendres, aussi bien que des plus folles et des plus détraquées… Après Phèdre, lisez Bérénice, le drame par excellence du sacrifice de l’amour au préjugé social ; sujet éternel comme las autres. Ici c’est la faiblesse et la grâce féminines jusque dans l’accomplissement d’un devoir inhumain ; non pas sacrifice, mais plutôt résignation douloureuse à une loi inévitable qui, bravée, tôt ou tard, prendrait sa revanche ; la plus grande preuve d’amour par l’immolation de l’amour même. Et, pour le dire en passant, qu’importe que nous concevions mal la force de cette tradition romaine à laquelle se soumettent Titus et Bérénice ? Le préjugé romain n’est qu’un signe, le signe d’un obstacle insurmontable. Décidément il ne faut point attacher d’importance à ce qu’il y a d’historique dans les tragédies