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tence désespérée et stérile… Oh ! oui, on les aime, les passionnées de Racine ; on est pris d’une immense pitié pour ces victimes gracieuses et douloureuses de forces indomptables, et ce n’est point contre elles qu’on est tenté de s’indigner.

Et lui, croyez-vous qu’il ne les aime pas, même les plus folles ? Quelle défiance de soi, et quelle terreur, quelle expérience des femmes et quelle rancœur, et, par suite, quels amours et quels orages ne supposent pas d’abord son dessein d’entrer à la Trappe, puis son mariage, à trente-huit ans, avec une bonne femme qui n’avait pas lu ses vers, et sa piété fervente, son amour de Dieu, égal à son ancienne passion pour ses maîtresses[1]. Je ne pense pas qu’on ait exagéré la tendresse de Racine. « Mon père était tout cœur.[2] » « Racine qui aime pleurer…[3] » Il faut répéter ici ce qui a été dit mille fois : Racine est bien le poète de l’amour. En mettant sur la scène l’amour-passion, il commence une littérature. Nous sommes loin de l’amour galant, de l’amour chevaleresque et platonique. Même l’amour de Chimène, même l’amour de Pauline, ce n’était pas cela encore : il avait des allures trop héroïques et viriles, ou il cédait trop vite au devoir. Sauf chez Camille (qui d’ailleurs est tout d’une pièce n’est point assez femme), nulle part avant Racine nous ne voyons l’amour-fureur, l’amour-possession, l’a-

  1. Mme de Sévigné.
  2. Louis Racine.
  3. Mme de Sévigné.