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des passions irrésistibles. Les innocents sont généralement sacrifiés (ainsi va le monde) ; si les coupables sont punis, c’est toujours de leurs propres mains, et l’horreur qu’ils auraient pu inspirer se tourne en compassion. D’où une troisième espèce d’impression contradictoire : les criminels ne sont nullement odieux, et peu s’en faut qu’ils ne soient sympathiques et ne semblent plus à plaindre que leurs victimes. Néron même, Néron jeune, amoureux et jaloux, sans le meurtre du cinquième acte, on se demande si l’on pourrait le prendre en haine. Pour Hermione, Roxane, Ériphile, Phèdre, elles aiment, elles souffrent, elles s’expriment comme des anges, elles sont prêtes à mourir : comment ne les-aimerait-on pas ? Phèdre est adorable, et ce n’est pas moi qui la tiens absolument innocente, mais le sévère Boileau, qui parle de sa douleur vertueuse[1] et qui la déclare « perfide et incestueuse malgré soi ». Et en effet, c’est la nourrice damnée qui fait tout ; Phèdre n’a plus sa tête quand elle laissa Œnone accuser Hippolyte ; elle allait se dénoncer quand elle apprend qu’elle avait une rivale, et sa raison part de nouveau. Elle a dans les veines le sang de Pasiphaé : écrasée de honte et de remords, malade, n’ayant mangé ni dormi depuis trois jours, pudique même au plus fort de ses emportements, elle fait songer, dans ses longs voiles blancs, à quelque religieuse dévorée au fond de son cloître par une mystérieuse passion et se desséchant dans une péni-

  1. Ép. à Racine.