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Mais, après tout, est-ce là une convention si forte ? Il arrive parfois (et la tragédie n’exprime que des passions exceptionnelles au moins par leur degré) que sous l’homme civilisé surgisse un sauvage poussé par la force aveugle des nerfs et du sang. La tragédie (comme l’art en général) ne fait qu’accentuer les traits ; elle ne fait qu’exagérer parfois la distance entre ces deux hommes qui sont en nous. Le théâtre de Racine nous présente des hommes parfaitement élevés et diserts qui, à certaines heures, en dépit de leur politesse et de leur élégance, font des choses atroces. Cela ne s’est-il donc jamais vu ? En un sens, rien de plus vrai ni de plus philosophique que la tragédie, qui nous montre les forces élémentaires, les instincts primitifs déchaînés sous la plus fine culture intellectuelle et morale.

Ce qui contribue encore à la vérité de ce théâtre, c’est que, si l’on fait abstraction des noms royaux ou mythologiques et des dénouements (meurtre, folie, suicide), les situations, au contraire de celles de Corneille, y sont assez communes et prises dans le train habituel de la vie : c’est une remarque qu’on a souvent faite. Un homme entre deux femmes (Andromaque, Bajazet), un amant qui se sépare de sa maîtresse pour des raisons de convenance (Bérénice), la lutte entre deux frères de lits différents ou entre une mère ambitieuse et un fils émancipé (Britannicus), un père rival de son fils (Mithridate), même une femme amoureuse de son beau-fils (Phèdre), ce sont là des choses