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    Et je n’ose vous dire à quelle cruauté
    Mithridate jaloux s’est souvent emporté[1].

Ajoutez que Mithridate a plusieurs fois la pensée de tuer ses fils, Racine a enregistré fidèlement les actes les plus significatifs que lui attribue l’histoire : a-t-il senti l’abîme creusé par ces faits et gestes entre le roi du Pont et un prince occidental du XVIIe siècle ? A-t-il eu la vision nette de ce que pouvait être un roi d’Asie Mineure il y a quelque deux mille ans ? Pour Racine, Mithridate n’est pas seulement un grand homme, mais, tout compensé, un « honnête homme », quelque chose comme le grand Condé amoureux à soixante-dix ans et luttant contre les Romains.

Dans Iphigénie, c’est un sacrifice humain que l’on discute en si beau style. Achille, ce gentilhomme, dans les sacs de ville, enlève les filles et les porte lui-même, à bras-le-corps, dans son vaisseau. Les actions sont de mille ans avant l’ère chrétienne ; les manières sont de dix-sept siècles après.

Phèdre est d’une infinie délicatesse morale, et Aricie d’une ravissante coquetterie. Assurément elles ne sentent ni ne parlent comme dans un temps où l’on pouvait être petite-fille du Soleil et fille du Juge des morts (Phèdre) ou petite fille de la Terre (Aricie), et où le dieu des mers mettait des monstres à la disposition de ses amis. Toute cette mythologie fait un singulier mélange avec le raffinement d’esprit et de

  1. Mithridate, IV, sc. ii.