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Des voix d’hommes reprennent le verset en chœur. L’adolescent extatique à la figure de jeune archange se met à chanter, et je constate avec une surprise désagréable que ce Chérubin de cercle catholique, qui serait un si friand régal pour quelque perverse marraine de trente-cinq ans, a une voix de basse profonde.

Malgré tout, cette lamentation lointaine qui recommence, cette lumière tamisée venant on ne sait d’où, cette ombre douce et solennelle, cela berce et caresse l’âme à la faire pleurer. C’est bien là qu’on oublie. Femmes du peuple qui peinez tant, voulez-vous oublier la mansarde où il fait froid et où l’on n’a pas toujours du pain, le loyer qui n’est pas payé, le mari qui vous bat quand il est ivre, les enfants morts ou mal portants, toute la douleur de vivre ? Et vous, filles et femmes tentées par la misère ou par la folie obscure de votre corps, et vous, mendiants, infirmes et meurt-de-faim, toute la cohue invoquée par Jean Richepin dans la Ballade des Gueux, — venez, venez ici ! Une fois les lourds battants feutrés retombés derrière vous, tout est fini, rien de tout cela n’existe plus : vous entrez dans un monde nouveau, dans un lieu de mystère où vous pouvez croire que la vie est un vague et mauvais rêve allégé par des trêves bienfaisantes qui font pressentir le réveil ailleurs ; et vous sortirez avec une douceur dans l’âme et une résignation un peu moins inutile que la révolte. « Venez, vous qui peinez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. »