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Hélas ! c’est peut-être là la suprême sagesse : voir le monde et s’en émerveiller comme les tout petits, mais ne revenir à cet émerveillement qu’après avoir passé par toutes les sagesses et les philosophies ; concevoir le monde comme un tissu de phénomènes inexplicables, à la façon des enfants, mais par de longs détours et pour des raisons que les enfants ne connaissent pas.

Ainsi fait M. Anatole France. Sa contemplation est pleine de ressouvenirs. Je ne sais pas d’écrivain en qui la réalité se reflète à travers une couche plus riche de science, de littérature, d’impressions et de méditations antérieures. M. Hugues Le Roux le disait dans une élégante Chinoiserie : « Toutes les choses de ce monde sont réverbérées, les ponts de jade dans les ruisseaux des jardins, le grand ciel dans la nappe des fleuves, l’amour dans le souvenir. Le poète, penché sur ce monde d’apparences, préfère à la lune qui se lève sur les montagnes celle qui s’allume au fond des eaux, et la mémoire de l’amour défunt aux voluptés présentes de l’amour. » Eh bien ! pour M. Anatole France, les choses ont coutume de se réfléchir deux ou trois fois ; car, outre qu’elles se réfléchissent les unes dans les autres, elles se réfléchissent encore dans les livres avant de se réfléchir dans son esprit. « Il n’y a pour moi dans le monde que des mots, tant je suis philologue ! dit Sylvestre Bonnard. Chacun fait à sa manière le rêve de la vie. J’ai fait ce rêve dans ma bibliothèque. » Mais le rêve