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losophe comme Sylvestre Bonnard, le sujet d’observation le plus attachant. C’est un homme tout neuf, non déformé, parfaitement original ; c’est l’être qui reçoit des choses et du monde entier les impressions les plus directes et les plus vives, pour qui tout est étonnement et féerie ; qui, cherchant à comprendre le monde, imagine des explications incomplètes qui en respectent le mystère et sont par là éminemment poétiques. Plus tard, l’homme moyen accepte des explications qu’il croit définitives ; il perd le don de s’étonner, de s’émerveiller, de sentir le mystère des choses. Ceux qui conservent ce don sont le très petit nombre, et ce sont eux les poètes, et ce sont eux les vrais philosophes. Tout enfant est poète naturellement. L’âme d’un petit enfant bien doué est plus proche de celle d’Homère que l’âme de tel bourgeois ou de tel académicien médiocre.

Et d’un autre côté le petit enfant, quoique supérieur à l’homme, est déjà un homme. Il en éprouve déjà les passions : vanité, amour-propre, jalousie, — amour aussi, — désir de gloire, aspiration à la beauté. Ses bons mouvements, étant spontanés, ont chez lui une grâce divine. Et quant à ceux qui dérivent de l’égoïsme, étant inoffensifs et n’étant point prémédités, ils sont divertissants à voir. Ils n’apparaissent que comme des démonstrations piquantes de l’instinct de conservation et de conquête, comme les premiers et innocents engagements de la lutte nécessaire pour la vie.