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bien le ton habituel d’un homme qui se regarde vivre lui et les autres, et pour qui tout est apparence, phénomène, spectacle ; car une telle façon de prendre le monde ne va pas sans un détachement de l’esprit qui est nécessairement ironique. On garde son sang-froid même dans l’observation la plus appliquée ou dans l’émotion la plus forte, et malgré soi on porte partout cette arrière-pensée que tout est vanité. Et tous les êtres qui n’y songent point, même ceux qu’on aime, vous font sourire par quelque endroit, fût-ce le plus affectueusement du monde.

Oui, mon ami, dit M. Bonnard au petit marchand d’almanachs qui lui offre la Clef des songes ; mais ces songes et mille autres encore, joyeux ou tragiques, se résument en un seul : le songe de la vie, et votre petit livre jaune me donnera-t-il la clef de celui-là ?

La plus haute sagesse ne manque jamais non plus de sourire d’elle-même : M. Sylvestre Bonnard a toujours ce sourire.

Mais cette ironie, n’étant en somme que la conscience toujours présente du mystère des abuses et de la fragilité des destinées humaines, implique la bonté, la pitié, la tendresse — une tendresse pleine de pensée et d’autant plus profonde. Il y a là je ne sais combien de pages qui vous mouillent les yeux : celles où M. Bonnard se souvient de Clémentine, celles où il va s’agenouiller sur sa tombe avec Mme de Gabry, celles où il avoue qu’il n’avait pas compté