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solennité sous ses galons extravagants d’ « inspecteur des souterrains » de la Commune. Voici M. Fellaire de Sizac, l’homme d’affaires, qu’on dirait échappé de la galerie d’Alphonse Daudet. Voici M. Haviland, l’Anglais taciturne qui collectionne dans des flacons l’eau de tous les fleuves du monde. Voici le philosophe Branchut, le poète Dion, le sculpteur Labanne, et combien d’autres !

Et Sylvestre Bonnard devait aimer aussi les créatures qui sont douces, bonnes, vertueuses ou héroïques sans le savoir, ou plutôt sans y tâcher et parce qu’elles sont comme cela : Mme de Cabry, l’adorable Jeanne Alexandre, la petite Mme Goccoz, plus tard princesse Trépof, même l’oncle Victor, encore que son héroïsme soit mêlé d’abominables défauts, et Thérèse, la servante maussade et fidèle, abondante en locutions proverbiales, riche de préjugés, de vertu et de dévoûment.

Mais bien qu’il sache décrire d’un trait saillant ces figures, toujours il les observe du point de vue d’un philosophe qui a acquis la faculté de s’étonner que le monde soit ce qu’il est. Il les voit, non tout à fait en elles-mêmes, mais comme faisant partie de cet ensemble stupéfiant qui est le monde et témoignant à quel point le monde est inintelligible. Il les peint exactes et vivantes, mais réverbérées, si je puis dire, dans l’esprit d’un vieux sage qui sait beaucoup et qui a beaucoup songé.