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du sentiment ou de la tradition, répondent par trois quatrains et demi ; le chercheur achève le dernier quatrain par une réplique ironique ou dédaigneuse et passe à un autre sonnet. On a reproché à M. Sully-Prud’homme d’avoir accumulé les difficultés comme à plaisir. Non à plaisir, mais à dessein, et le reproche tombe puisqu’il les a vaincues. Plusieurs auraient préféré à ce dialogue aux couplets égaux et courts une série de « grand morceaux ». Le poète a craint sans doute de verser dans le « développement », d’altérer la sévérité de sa conception. L’étroitesse des formes qu’il a choisies endigue sa pensée, la fait mieux saillir, et leur retour régulier rend plus sensible la démarche rigoureuse de l’investigation : chaque sonnet en marque un pas, et un seul. Puis cette alternance de l’austère sonnet positiviste et des tendres strophes spiritualistes, de la voix de la raison et de celle du cœur qui finissent par s’accorder et se fondre, n’a rien d’artificiel, après tout, que quelque excès de symétrie. Tandis que les philosophes en prose ne nous donnent que les résultats de leur méditation, le poète nous fait assister à son effort, à son angoisse, nous fait suivre cette odyssée intérieure où chaque découverte partielle de la pensée a son écho dans le cœur et y fait naître une inquiétude, une terreur, une colère, un espoir, une joie ; où à chaque état successif du cerveau correspond un état sentimental : l’homme est ainsi tout entier, avec sa tête et avec ses entrailles, dans cette recherche méthodique et passionnée.